Cela fait quelques mois maintenant que je vis en pleine immersion dans l'univers de l'adoption de l'intelligence artificielle générative (GenAI) en entreprise. En accompagnant un grand groupe dans la mise en place d'une plateforme de GenAI, j'ai eu l'occasion d'animer un certain nombre d'ateliers avec des salariés provenant de différents services (RH, Finances, Communication, Achats, Data, IT...). Je commence à me forger une conviction forte : l'avenir des compétences réside dans la capacité à fusionner expertise humaine et puissance technologique. Avant de pouvoir allier les deux, il faut souvent passer par l'explicitation de peurs et l'identification d'opportunités que cette révolution amène.
Je vous livre les constats issus de ces mois d'échanges et d'interactions autour de la mise en place de la GenAI en entreprise.
Et en premier, viennent les peurs...
Dans nos ateliers, ce qui me frappe toujours, c'est la faible adoption de la GenAI et cela se vérifie sur tous types de profils : sur 25 participants, que compte en moyenne chaque séminaire, à peine un ou deux ont déjà exploré la GenAI. Et pourtant, tout le monde a un avis sur le sujet ! Le plus souvent, ces avis font ressortir des craintes. Celles-ci donnent lieu à des discussions très intéressantes.
De la pertinence d'utiliser une IA générative
Une des première discussion qui apparaît concerne la pertinence d'utilisation de l'IA dans son quotidien. "Ai-je vraiment besoin de l’IA pour écrire un simple mail à mon collaborateur ?" La question est très légitime (et dénote le réflexe premier de scepticisme du plus grand nombre). Il est souvent plus rapide et plus pertinent de prendre sa plume pour rédiger un email à un collègue que l'on connaît bien, plutôt que de passer plus de 10 lignes en prompt pour décrire le contexte de la situation et de la relation avec ce dernier à une IA, de créer ensuite 10 interactions avec cette dernière pour finir sur quelque chose de peu satisfaisant car pas assez personnalisé. C'est un constat qui est pertinent, et qui pose directement le cœur du débat : l'IA c'est intéressant mais pas pour tout et n'importe quoi !
Un autre retour que nous entendons est que "le style de l’IA est pauvre et se ressemble toujours", une sorte de soupe textuelle sans âme. Certains participants craignent de voir disparaître leur style en utilisant une IA générative. Là encore, tout est question de choix d'utilisation : pour produire un compte rendu de réunion (écrit qui est souvent perçu comme rébarbatif), l'utilisation d'une IA pour mettre en forme des bribes de phrases mal rédigées, représente un vrai gagne-temps sur la production d'un écrit qui ne nécessite que très peu de personnalisation.
La crainte du remplacement... des collègues
En entreprise, qui dit IA, dit peur d'un remplacement potentiel de l'humain dans un souci d'optimisation de la masse salariale. Voilà une peur fascinante, teintée de paradoxes dans les réactions. Lorsque nous mettons les participants aux formations face à des cas concrets de mise en pratique, les réactions sont très intéressantes : si les participants sont mis en situation d'utiliser l'IA pour les assister dans leurs tâches, alors, ils applaudissent. "Génial, je vais gagner du temps, le premier retour produit est vraiment pas mal !" Ils perçoivent très bien le potentiel de l'outil sans craindre leur remplacement, car ils comprennent bien que le résultat, pour être qualitatif, a supposé leur expertise dans le prompting, dans les interactions ou dans la correction du résultat final.
En revanche, lorsqu'on propose un cas d’usage dans un autre domaine professionnel, le ton change : "On n’aura plus besoin du service Y avec ça !" Pourquoi ? Parce que dans leur domaine, ils ont le recul nécessaire pour voir les limites de l’IA et comprendre qu’elle complète leur travail sans le remplacer. Hors de leur zone d’expertise, cette nuance disparaît. La confiance accordée à la machine est alors totale. On a l'illusion que l'humain peut être remplacé.
Les participants sont souvent très mal à l'aise avec l'impact sur le climat que peuvent avoir les IA génératives. Comment ne pas y penser lorsqu'on connait le coût environnemental notamment lié à l'entraînement des modèles ?
Cette question est essentielle et, pour moi, justifie à elle seule la nécessité d'enseigner aux utilisateurs l'art de formuler des prompts précis et efficaces. C'est clairement l'objectif que nous nous fixons dans ces séminaires. Un bon prompt minimise les allers-retours inutiles, réduisant ainsi la consommation de ressources. De plus, cette montée en compétences améliore la qualité des résultats tout en diminuant significativement l'empreinte carbone des interactions.
La deuxième piste que nous encourageons, ensuite, est celle de créer une expérience utilisateur rendant explicite l'impact de son usage. Il est essentiel d'intégrer des indicateurs visuels directement sur la plateforme. Ces indicateurs pourraient afficher l'empreinte carbone générée par chaque interaction ou requête, permettant ainsi aux utilisateurs de comprendre immédiatement le coût écologique de leurs actions. Par exemple, une barre de progression ou un compteur pourrait indiquer l'énergie consommée pour chaque opération. Cela inciterait à une utilisation plus responsable et à une prise de conscience collective. Des assistants justement dimensionnés pourraient être pré-paramétrés : utilisation d'un "mini" modèle pour effectuer un compte-rendu de réunion ou bien une traduction.
De l'importance de l'accompagnement
Nos séminaires ne se limitent pas à faire découvrir la plateforme que nous mettons à disposition des utilisateurs : à travers les cas pratiques, des discussions naissent. Elles permettent autant de soulever des débats de société que de dégager des cas d'usage très concrets et inspirants pour tous les participants. En alternant théorie et ateliers pratiques, on démystifie l’IA et on ouvre le dialogue. Résultat ? Une meilleure compréhension des forces et faiblesses de ces outils. Les participants repartent avec un mantra : tout ne nécessite pas l’IA, mais certaines tâches, souvent rébarbatives ou chronophages, gagnent à être proposées à l'IA, tandis que l’humain reste le maître du résultat. La pertinence et la qualité reposent sur notre capacité à poser les bonnes questions et à challenger les réponses.
L'IA générative, la performance issue de l'expertise humaine
Mon dernier constat réside dans la cohabitation nécessaire entre les expertises humaines et l'utilisation de l'IA générative. Il y a un risque de déséquilibre si une de ces dimensions prend le pas sur l'autre. Et cette question pourrait même devenir générationnelle.
D’un côté, les générations plus anciennes, parfois peu familiarisées avec les technologies émergentes comme la GenAI, peinent à en saisir les opportunités et restent en retrait. Certains semblent s'exclurent d'eux-mêmes en imaginant une quelconque barrière technologique infranchissable. Les ateliers permettent justement de montrer l'accessibilité des outils et rassurent énormément sur le coût d'entrée dans cette technologie.
De l’autre, la nouvelle génération, hyperconnectée, peut avoir tendance à tomber dans l’excès inverse : une dépendance à la GenAI. Utiliser l'IA pour tout, surtout lors d'une première expérience professionnelle, peut constituer un risque qui limite le développement de compétences humaines et professionnelles fondamentales. Le risque est aussi de ne pas tirer tout le bénéfice de l'IA générative en accordant une confiance totale à cette dernière au détriment de celle accordée à notre sens critique.
Dans ces deux cas de figure, l'accompagnement est vraiment là pour mettre en avant la nécessité d'avoir une réelle expertise dans un domaine pour espérer tirer profit de l'IA dans ce dernier. Pour les générations expérimentées, l’accent doit être mis sur l’accompagnement et la formation pour faciliter leur adoption de ces outils, sans crainte ni sentiment d’obsolescence. Pour les plus jeunes, il est crucial de leur enseigner que l’IA n’est pas une solution miracle. Ce n’est qu’un outil, dont la vraie puissance repose sur leur capacité à poser les bonnes questions, interpréter les résultats et maintenir un sens critique.