GenAI
IA Generative : pas de cas d'usage sans USAGE !
Exiger des cas d’usage sans usage revient à inverser la logique naturelle d’adoption : ce n’est pas en décrétant où la GenAI sera utile qu’elle sera utilisée, mais en la rendant accessible à tous, pour qu’elle s’infiltre progressivement dans les pratiques et révèle son potentiel dans le temps.
Il n’est pas un jour de ma "longue" expérience autour des plateformes d'IA générative (on se parle en années dorénavant), où je n’entends pas parler de cas d’usage. Que ce soit sur LinkedIn où on nous vante le graal en la matière, que ce soit chez nos clients où on nous demande de recenser les cas d’usages mis en place et leur ROI, ou que ce soit en avant-vente où on vient nous voir pour essayer d’obtenir les cas d’usages mis en place chez les autres. Tout le monde n’a qu’une obsession : les cas d’usages !
Après m’être laissée prendre au piège dans les premiers mois de cette "longue" expérience, j’opère un virage et me place en opposition à cette approche vouée à l’échec ! Après avoir apprécié me creuser la tête pour tenter de trouver les meilleurs cas d’usages possibles pour les métiers que j’accompagnais, la réalité m’est revenue en plein visage. Et si on arrêtait de prendre les plateformes d'IA Générative pour des produits comme les autres pour lesquels il faudrait justifier de cas d’usages et de ROI pour accepter d’investir sur le sujet. Et si pour une fois, on assumait plutôt le postulat suivant : l'IA générative est une révolution en tant que telle et pas juste un produit dans lequel on investit.
Alors pour une fois, j’ai envie de dire à tous : oubliez vos KPIs de rentabilité et intéressez-vous seulement à cet indicateur : l’Adoption !
La quête effrénée des cas d'usage : une impasse annoncée
Focaliser les efforts sur l'identification et la mise en œuvre de cas d'usage spécifiques sans préparer le terrain pour une adoption généralisée de la GenAI conduit à des solutions déconnectées des réalités opérationnelles. En effet, les organisations, avec cette obsession du retour sur investissement, créent une obligation de résultat sur le nombre de cas d’usages à produire. Les seules personnes dans l’organisation à même de pouvoir donner naissance à ces derniers sont souvent des profils “tech addicted” pas forcément à l’aise avec les vraies problématiques métiers. Ainsi, des cas d’usages vont être créés pour remplir les objectifs ; des indicateurs de rentabilité vont être vendus aux différents boards de direction pour “cocher la case”. Le problème : les vrais utilisateurs finaux n’auront pas pu participer activement à la naissance de ces cas d’usage, faute d’appropriation en amont de cette nouvelle technologie. Il y a donc tout à parier que ces derniers ne seront pas adaptés dans l’avenir et donc pas utilisés. Malgré les belles métriques exposées (temps gagné, ROI) en avance de phase, la réalité sera décevante : du temps investi pour rien ! De plus, survendre aux utilisateurs des cas d’usages clé en main avant même de s’être assuré qu’ils maîtrisent le fonctionnement de la GenAI augmente le sentiment chez eux d’arriver trop tard. En plus de perdre du temps et de l'argent, on va renforcer les craintes et les peurs d'utilisateurs pas encore embarqués sur cette nouvelle technologie : on leur montre le niveau expert avant d’avoir consolidé les bases !
Lors d'une mission, j'ai été confrontée à une situation illustrant parfaitement cette dynamique. Convaincue du potentiel de la GenAI, j'ai déployé un assistant virtuel pour un collaborateur, je me suis engouffrée joyeusement dans la mise en place de ce dernier, obtenant des résultats très probants. Fière de ma réalisation, je me suis empressée de montrer à l’utilisateur final la qualité de mon travail en lui vantant le temps qu’il allait gagner dorénavant. Totalement aveuglée par la qualité des résultats de mon travail, j’ai totalement négligé la dimension psychologique chez mon interlocuteur. Bien que l'outil fût performant, le collaborateur s’est senti dépassé et insuffisamment préparé. Au lieu de se précipiter sur l’utilisation de la GenAI, j’ai creusé un fossé entre lui et cette technologie. C’est comme si je lui avais montré comment réaliser la recette de l’Ispahan de Pierre Hermé sans avoir validé ses bases en pâtisserie. La marche semblait trop haute ! Et il a tout rejeté en bloc…
L'adoption massive : le véritable catalyseur de l'innovation
Pour que la GenAI révèle tout son potentiel, il est crucial que les employés se l'approprient et l'intègrent dans leur quotidien professionnel. Cette adoption ne se décrète pas ; elle se construit par la formation, l'accompagnement, la sensibilisation et surtout le TEMPS. En investissant dans le développement des compétences et en favorisant une culture d'innovation, les entreprises permettent à leurs collaborateurs de devenir des acteurs proactifs de la transformation digitale. Ce sont ces mêmes collaborateurs, une fois familiarisés et confiants dans l'utilisation de la GenAI, qui identifieront naturellement des cas d'usage pertinents, adaptés aux spécificités de leurs missions et aux défis qu'ils rencontrent. Ainsi, l'innovation émerge de la base, assurant une adéquation parfaite entre les solutions déployées et les besoins réels de l'organisation.
La gestion du changement est un processus qui s'inscrit dans la durée. Introduire la GenAI dans une organisation nécessite une approche progressive, où le temps joue un rôle crucial. Les collaborateurs doivent disposer de suffisamment de temps pour assimiler les nouvelles technologies, adapter leurs méthodes de travail et développer de nouvelles compétences. Une transformation précipitée peut engendrer des résistances, voire des échecs. Il est donc essentiel de planifier des phases d'intégration étalées dans le temps, permettant une appropriation sereine et efficace de la GenAI. Cette approche temporelle garantit une adoption pérenne et une transformation en profondeur des pratiques professionnelles.
A mon sens, il faut voir l’arrivée de la GenAI comme celle du Web il y a quelques décennies : une révolution des modes de travail. Ainsi, rien ne sert de mettre des indicateurs de rentabilité à ce stade. En revanche, il est urgent d’équiper tous les salariés de l’entreprise et de les faire monter en compétences. C’est de cette appropriation que naîtront naturellement les cas d’usages.
L'histoire du web nous enseigne que l'exclusion numérique peut creuser des inégalités. De même, une adoption élitiste de la GenAI, encouragée par la course aux cas d’usage, pourrait créer une fracture au sein des entreprises, entre ceux qui maîtrisent la technologie et les autres. Il est donc impératif de démocratiser l'accès à la GenAI, en offrant à tous les collaborateurs les moyens de se former et de s'approprier ces outils. Cette inclusivité garantit non seulement une cohésion interne, mais également une richesse d'innovations issues de la diversité des perspectives et des expériences.
Réorienter les priorités pour une transformation réussie
Plutôt que de se focaliser exclusivement sur la recherche de cas d'usage et la justification immédiate des investissements par le ROI, les entreprises devraient prioriser l’adoption massive de la GenAI par leurs équipes. C’est en misant sur l’humain, la formation et l’accompagnement que la véritable transformation digitale pourra s’opérer, libérant ainsi tout le potentiel de la GenAI au service de l’innovation et de la performance.
L'histoire des grandes révolutions technologiques nous montre que les usages ne sont pas nés d’un simple exercice stratégique en comité restreint, mais bien de la pratique quotidienne, de l’appropriation progressive par ceux qui ont su adapter ces innovations à leurs besoins réels. Exiger des cas d’usage sans usage revient à inverser la logique naturelle d’adoption : ce n’est pas en décrétant où la GenAI sera utile qu’elle sera utilisée, mais en la rendant accessible à tous, pour qu’elle s’infiltre progressivement dans les pratiques et révèle son potentiel dans le temps.
Le véritable enjeu n’est donc pas de trouver immédiatement "le bon cas d’usage", mais d’outiller, former et accompagner ceux qui en seront les véritables créateurs. Et ce travail s'inscrit nécessairement dans la durée.