Gilles Babinet : "La capacité d'innovation tient à l'état d'esprit"
Multi-entrepreneur du numérique, Gilles Babinet a échangé avec WEnvision sur les conditions requises pour innover au sein des entreprises.
Interview de Gilles Babinet, entrepreneur, co-chairman du Conseil national du numérique, à paraître dans notre prochain livre blanc consacré à l'innovation.
"Il n’y a pas de recette miracle pour réussir ses projets d’innovation. Quand je regarde les parcours des entrepreneurs autour de moi, je vois néanmoins une constante : la conviction obsessionnelle des fondateurs, mais aussi leur souplesse, leur capacité à accepter critiques et remises en question. C’est cet état d’esprit que les entreprises doivent rechercher.
En premier lieu, les entreprises doivent comprendre et accepter le fait qu’elles sont en position d’être concurrencées par un “digital native”, et qu’elles risquent donc d’être marginalisées, absorbées par une entreprise plateforme issue du numérique. Le numérique, induction technologique, a des conséquences profondes sur le fonctionnement de nos sociétés en général et en particulier sur le fonctionnement des processus d’organisation des entreprises ; cela les restructure presque totalement.
Des organisations libérées et agiles dans les nouvelles générations d'entreprises
Quand on regarde les nouvelles générations d’entreprises, elles présentent des modèles organisationnels en forte rupture avec les structures traditionnelles. Certaines sont passées d’un modèle top-down à un modèle granulaire, organisé autour du projet, qui induit une organisation libérée et agile.
Passer directement du modèle actuel à une telle structure me paraît un vœu pieux pour les entreprises traditionnelles. D’abord, elles n’ont pas la structure technologique leur permettant d’atteindre le niveau et la souplesse des digital natives, qui sont des entreprises massivement plateformisées avec un accès facilité aux données, des outils et des algorithmes permettant de traiter ces données. Ensuite, elles n’ont pas la compétence technologique permettant aux collaborateurs, y compris des gens en gestion de projet, de tirer parti des technologies numériques, faute d’avoir une connaissance fine des opportunités que ces technologies représentent. Et enfin, elles n’ont pas cette culture numérique issue de la technologie, autrement dit les réflexes en matière de gouvernance ainsi que la façon de faciliter la collaboration, qui sont très différentes de ce que l’on peut trouver dans une entreprise traditionnelle.
Pour que ces entreprises traditionnelles sortent de leur sclérose et réussissent leur démarche d’innovation, elles doivent définir une vision pour le long terme, à horizon 10 ou 15 ans. Cet exercice impose d’arrêter de réfléchir de façon incrémentale et de commencer à penser en rupture. On se positionne ensuite à une fraction opérationnelle du temps énoncé et on travaille sur trois feuilles de route correspondant aux trois sujets structurants : la gestion de la dette technique, pour passer sur un modèle de plateforme, la gestion du capital humain, et la question de la culture et de la gouvernance.
La mise en place de dispositifs de management de l’innovation comme l’open innovation sont également souhaitables car les entreprises ne peuvent pas s’en sortir seules. Elles doivent faire appel à des start-up, des entreprises extérieures, et créer des partenariats pour capter les compétences technologiques qui leur font défaut. En revanche, ce dispositif ne doit pas être un substitut qui élude les problèmes organisationnels. Si rien n’est fait de ce point de vue, cela aboutira à une dichotomie entre des acteurs très innovants venant de l’extérieur et des acteurs internes qui se sentiront marginalisés car aucun plan n’a été prévu pour eux. L’intrapreneuriat peut aussi être une bonne approche mais cela doit s’inscrire dans un plan stratégique global. Un des biais qu’on peut craindre serait d’avoir une seule catégorie de collaborateurs représentée dans ce type de programme alors qu’il est essentiel d’avoir une pluralité de compétences et de référentiels, et surtout des gens motivés. Il est donc impératif de dessiner au préalable une vision, en top-down et en bottom-up, et d’y consacrer suffisamment de temps et de soin pour créer un engagement global de l’ensemble des parties prenantes. Il faut ensuite commencer par réaliser des petits projets d’amélioration pour créer de la confiance progressivement, puis petit à petit s’attaquer à des sujets plus importants.”