Conseil de lecture : The Lean Tech Manifesto

Les meilleures pratiques du Lean Management peuvent-elles aider nos organisations là où "l'agilité à l'échelle" marque le pas ? Ce manifeste fourmille d'exemples concrets à implémenter dans nos entreprises et nos projets.

Conseil de lecture : The Lean Tech Manifesto
Couverture du livre The Lean Tech Manifesto de Fabrice Bernhard et Benoît Charles-Lavauzelle aux éditions McGrawHill
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Mes articles préférés sont souvent les Book Reviews (ou revues de littérature). Etant moi-même un rat de bibliothèque, il est temps de me lancer sur nos sujets Data... Il y a toujours un temps pour lire. Personnellement, j’adapte le type de lecture à l’endroit et au temps que je peux y consacrer : les romans, l’aventure et la science fiction le soir, les bandes dessinées le dimanche matin au lit avec un café et les livres techniques pour mes trajets en transport en commun. Mais comme ici, c’est un site professionnel, j’ai décidé de vous faire part d’une de mes lectures du moment : The Lean Tech Manifesto de Fabrice Bernhard et Benoît Charles-Lavauzelle.

Le Lean Tech Manifesto c'est quoi ?

L'ambition des auteurs est de s’inspirer des principes du Lean pour transcender le Manifeste Agile, jugé insuffisamment scalable (on n'entrera pas ici dans le débat "SAFE peut-il être considéré comme de l'Agile", laissons cela à nos amis agilistes^^).  Les auteurs illustrent les principes du Lean par des cas pratiques issus surtout d’Amazon et plus largement des GAFA en addition de l'histoire de Toyota dont le fondateur est à l'origine des pratiques Lean. 

L’ouvrage s’articule autour des 4 piliers qui constituent le Manifeste Lean Tech :

  • La valeur pour le client comme point cardinal de l’ensemble des activités, y compris Tech 

L’utilité de ce qui est produit par les développeurs et plus largement par les équipes Tech pour le client (client final ou interne) doit servir de principe directeur ou d’étoile dans la nuit. Et l’ensemble des personnes impliquées dans la chaîne de production doivent pouvoir toucher la valeur générée. Il s’agit donc de dépasser les “Expressions de besoins”, les cahiers des charges ou des Features, découpés en incréments et backlogs pour reprendre le vocabulaire de l’agilité. Les phases de Démo et de Rétro existent bien sûr et ne sont pas à négliger, mais les auteurs invoquent les principes du Gemba walk (immersion sur le terrain), de la publication et de la revue fréquente des indicateurs de Safety, Quality, Delivery, Cost (SQDC) -  et du principes d’obeya pour afficher l’ensemble des éléments sur lesquels les équipes travaillent. 

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L'obeya est décrite par Wikipedia comme une pratique Lean de management visuel consistant à regrouper et mettre à jour en collaboration dans un même lieu toutes les informations utiles à la compréhension d'une activité d'une équipe ou d'un projet. Cette pratique est utilisée dans les entreprises japonaises comme Toyota.
  • L’organisation, pensée comme des unités de travail autonomes et liées via la technologie pour constituer un organisme

Les organisations sont confrontées à la difficulté de faire collaborer des équipes sur les chaînes de production (industrielles ou informatiques). L’Agilité n’a pas changé les règles du jeu en la matière et a substitué la gestion de projet classique aux rituels de cérémonies agiles, ce qui dans de nombreuses entreprises s’est traduit par une nouvelle forme d'administration. 

Sur le modèle d’Amazon, le Lean Tech Manifesto propose d’abord de reconnaître que la collaboration des équipes entre elles est une tâche ardue et qu’un moyen de la contourner est d’avoir un système d’information et des outils adéquats pour réduire au maximum les nécessités de collaboration. Ainsi, les équipes, ou cellules de production doivent être les plus autonomes possibles dans le travail.

Cette autonomie se traduit par une liberté d’améliorer l’ensemble des processus support de la production et les auteurs proposent de reprendre les principes du Kaizen (démarche encore japonaise de gestion de la qualité basée sur une multitude de petites améliorations faites au quotidien) au travers des frameworks PDCA (Plan, Do, Check, Adjust) et 5S en faveur de l’amélioration continue des méthodes de travail. 

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Élaborée dans le cadre du système de production de Toyota, explique Wikipedia, la méthode 5S tire son appellation de la première lettre de chacune de cinq opérations en japonais constituant autant de mots d'ordre ou principes simples. Ils ont été traduits par « supprimer l'inutile », « situer les choses », « (faire) scintiller », « standardiser les règles » et « suivre et progresser ». Démarche parfois traduite en français par le mot ORDRE qui signifie Ordonner, Ranger, Dépoussiérer ou Découvrir des anomalies, Rendre évident, Être rigoureux.

L’histoire de Linux permet ensuite aux auteurs de rappeler qu’à chaque nouveau problème de collaboration, des solutions, des outils, des process peuvent être créés ou adoptés, c’est notamment le cas des chaînes de CICD qui partent du besoin de permettre à un grand nombre de développeurs de travailler ensemble sur un même tronc commun de code en conservant un niveau élevé de qualité du produit final.

La collaboration et la transversalité à l’échelle d’une entreprise peuvent également être gérées en repensant l’organisation en miroir de ses systèmes d’information (coucou loi de Conway !) pour définir la “team topology” la plus adaptée.

  • Right First Time et Just In Time… pour arriver à une maîtrise (quasi) parfaite de l’ensemble de la chaîne de production et être constant dans l'exigence de qualité des produits livrés

Le Lean Tech Manifesto propose ici de se concentrer sur les outils du Lean pour la conservation et le maintien d'un (très) haut niveau de qualité au travers du concept du Jidoka et du Cordon d'Andon. Si on résume, il s’agit de l'arrêt de la chaîne de production dès qu'un défaut est détecté pour éviter de produire des unités défectueuses et éviter de propager des défauts.

Pour rendre les choses plus pratiques, l’ouvrage décline ce que le “Right first time” pourrait vouloir dire sur une chaîne CICD à 5 niveaux :

  1. La détection du défaut par le développeur avant de le pousser dans la chaîne d'intégration ;
  2. La détection du défaut dans le pipelines d'intégration (soit manuellement soit à l'aide de tests automatisés) et son unité de mesure "right first time" qu'on peut traduire en "bon du premier coup" ;
  3. La détection du défaut par des utilisateurs internes non impliqués dans les cycles de développement informatiques (les métiers, les Products Owners...) ;
  4. La détection après la mise en production mais avant la réception d'une plainte d'un client externe ;
  5. La détection par un client externe, qui est le dernier niveau non souhaitable.

En plus d’une invitation à détecter les défauts le plus tôt possible, deux autres concepts connexes du Lean viennent soutenir l’effort de qualité : le Dantotsu (ou principe d’investigation systématique des défauts observés) et le Poka-yoke (l’effort de penser les systèmes pour n’accepter que ce qui est conforme à 100%). Principe qu’il est intéressant de remettre en balance du concept d’anti-fragilité proposé par Nicholas N. Taleb et qui constate que les systèmes se renforcent des chocs qu’il encaisse. 

  • Permettre à l'organisation d'apprendre en continu pour développer une résilience aux changements

Le constat de départ : les plans de développement et de formation, notamment en entreprise, sont rendus rapidement obsolètes du fait de la rapidité des évolutions technologiques, organisationnelles et des besoins des clients.

Ici, on applique la même recette Lean :

  1. Penser à ce dont le client a besoin, adopter une approche "essai-feedback-itération" pour tester différentes approches ;
  2. Appliquer les principes du Kaizen aux apprentissages et remettre à jour ce qu'on connaît. Ici, les auteurs nous parlent des standards dans la conception lean. Le standard n'est pas un process - au sens d'une succession de tâches à exécuter sans intelligence - mais au contraire un document qui décrit la meilleure manière d'exécuter un travail, non pas nécessairement pour être reproduit à l'identique mais comme un conseil, un fil d'Ariane à suivre. La remise en question et la mise à jour de ces standards est un des fondements de l'apprentissage continu en entreprise.
  3. Diffuser les retours de terrains et les apprentissages via le management visuel (Obeya) ainsi que par la mise en place de communautés de pratiques. Formaliser une matrice de compétences permet également d'identifier les référents dans l'organisation sur certaines compétences techniques comme sur les standards en place.
Les fondations et piliers du Lean adaptés par les auteurs pour les activités Tech

Pourquoi faut-il lire le livre ? 

D'abord par ce que les auteurs ont fait l’effort de traduire les concepts du Lean et du contexte Toyota pour le transposer dans une entreprise du XXIe siècle et dans le quotidien des équipes IT. 

Ensuite parce que partant des limites de l'Agilité tel qu'elle a été déployée dans un grand nombre de nos entreprises, les auteurs proposent de revenir aux fondamentaux et de travailler un ensemble de principes qui s'inscrivent dans un cadre (le Lean) pour tendre vers le meilleur produit livré pour les clients. Cet effort nous semble d'autant plus critique que l'activité des développeurs va (est déjà) bouleversée par l'IA générative. Nous allons auto-produire plus de lignes de codes, mais dont il faudra d'autant plus vérifier les qualités de robustesse, de sécurité, de lisibilité et de maintenabilité.

Personnellement j'ai aussi apprécié le côté pragmatique et "out of the box thinker" du livre. Au travers des exemples d'entreprises - certes pas tout à fait communes - il est possible d'être créatif dans nos méthodes de travail si on garde en cap l'utilité du service rendu au client et qu'on s'applique quelques principes simples : simplifier, automatiser, visualiser et garder l'esprit ouvert.

Enfin, le livre m'a fait redécouvrir certains principes simples comme les chaînes CICD et le "pourquoi" est-ce qu'on en a besoin. Ces processus ont tendance aujourd'hui à trop être considérés comme du support alors qu'ils devraient être perçus et conçus comme la base de tout système en production.

Après avoir lu the Lean Tech Manifesto, j'ai évidemment envie de le décliner aux activités Data. Le challenge le plus important sera probablement l'interaction des équipes autonomes et l'établissement d'un modèle opérationnel optimal.
Autre envie : avoir des retours de terrain de l'application des principes Lean, notamment dans les départements IT, d'entreprises plus proches structurellement du terrain français et européen.

Pour qui est ce livre ?

Ce livre peut intéresser diverses populations : 

  • Toute personne qui travaille dans la Tech et avec des développeurs, pour faire un pas en arrière et se re-questionner sur nos manières de faire.
  • Les managers intéressés par le Lean et qui cherchent à voir comment les principes se traduisent sur le terrain. 
  • Les personnes intéressées par le sujet de l’organisation de forces de travail.
  • Les dubitatifs ou les frustrés de l’Agilité à l’échelle, qui cherchent des pistes pour les dépasser.

Ma conclusion

Le Lean Tech Manifesto est une synthèse des principes phares du Lean associés au domaine de la Tech et illustré d'exemples d'entreprises phares internationales. Il continue le travail brillant d'Yves Caseau dans "L'approche Lean pour la Transformation Digitale" et dans une certaine mesure de celui amorcé par N. Forsgren, J. Humble et G. Kim dans "Accelerate". La richesse du Lean Tech Manifesto vient avant tout de l'illustration des concepts par le récit de certains cas d'école (Amazon, Linux, Google pour n'en citer que quelques-uns). À voir maintenant ce que leur application peut donner dans des entreprises plus proches de nos structures et de notre culture.

Conseil de lecture : le DMBOK
Parce qu’il est bon de lire et relire les classiques, nous vous convions à vous replonger dans cette somme impressionnante sur le data management qu’est ce Data Management Body of Knowledge.

Mon précédent "conseil de lecture" 😄

Et pour ceux qui sont curieux de mes errances culturelles estivales :

Roman : Babel, de Rebecca F. Kuang. Une ambiance XIXe entre l'Angleterre commerciale (et coloniale) et la Chine. Mêlant fantaisie et histoire des luttes des peuples et des Hommes pour leur liberté. Nous suivons les péripéties de Robin Swift, traducteur et producteur de bars "d'Argent" qui incarnent l'énergie forte qui permet aux sociétés riches des gains d'efficacité inédits (et source de domination).

BD : Shibumi, de Patrice Perna et Jean-Baptiste Hostache - adaptation du romain de Trevaninan. C'est LA découverte de l'été. L'histoire d'un espion entre les cultures occidentales et japonaises. Un dessin à la serpe, un scénario comme une partition de Stravinski. Que vous ayez lu le roman ou non, courrez lire cette incroyable bande dessinée.

Podcast : Les Résistantes de Philippe Collin pour France Inter. 10 épisodes qui nous font parcourir toutes la Seconde Guerre Mondiale et l'Occupation en France à travers la vie de 5 femmes résistantes aux parcours et destins variés. L'Histoire à travers des figures inspirantes. 

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