C’est l’histoire d’une mise en mouvement réussie. Ou comment un distributeur dans le BTP, Frans Bonhomme (360 points de vente), a su passer en quelques mois d’un socle ERP écrit en Cobol, d’une culture papier et carnet de commandes client à l’ère numérique - au service à la fois des clients et des collaborateurs.
Quand Alexandre Aubry prend ses fonctions de DSI, en 2022, le challenge est immense. A tel point, dit-il, que nombre de collègues se disent qu’il ne restera pas. Nous sommes fin 2024, les résultats sont là ; Alexandre en parle comme d’un véritable “reboot”, et envisage déjà un nouveau cycle.
WEnvision et SFEIR ont eu la chance de participer à cette aventure dès ses débuts, pour dessiner ensemble les grandes orientations tech, orga et culture et digitaliser les process. C’est donc avec grand plaisir que nous revenons aujourd’hui sur ces (seulement !) 2 ans.
Lorsque tu évoques les 2 années écoulées, tu parles d’un “reboot”. Ce n’était pourtant pas le mandat de départ, à ton embauche ?
Non en effet, le mandat était la digitalisation de l’entreprise. Mais quand je regarde dans le rétroviseur, c’est bien d’un vrai reboot dont il s’agit. Nous étions face à un legacy vieux de 30 ans, stable et robuste, certes, mais pas assez évolutif. A titre d’exemple, la loi Ecotaxe, qui nécessitait d’ajouter une colonne, nous a demandé des mois de travail ! Ce sont des coûts (et des délais) qu’une entreprise ne peut plus absorber aujourd’hui. Nos infrastructures, aussi, devenaient obsolètes ; fallait-il repartir dans un cycle de 10 ans, réinvestir dans du matériel à une époque plutôt tournée vers le Cloud ? Enfin le parcours de vente n’était plus adapté aux usages actuels, nos clients devenaient plus digitaux que nous, avec nos écrans AS/400. Il fallait donc remettre tout cela en cause, définir une vision pour le futur, déterminer où aller, puis exécuter cette vision.
Quelles ont été tes premières priorités ?
Nous devions déjà faire face à un risque opérationnel et sécuriser nos datacenters. Une ETI n’est pas organisée pour opérer elle-même ses salles informatiques. Gérer la vétusté du matériel, la climatisation, le risque incendie ou l’alimentation électrique, ce n'est pas aligné avec une stratégie Cloud. Sans compter que passer par un fournisseur de Cloud nous a permis de les challenger sur des aspects comme le GreenIT. Nous avons donc déménagé dans les datacenters d’Orange, qui nous offre une passerelle vers les hyperscalers. C’est un premier jalon dans l’hybridation de nos infrastructures.
Le deuxième grand chantier, c’était la digitalisation des process d’entreprise. À la fois les process de vente et les process de gestion ; c’est notre projet Digicube. Il est vrai que nous sommes dans une industrie où la relation humaine est très importante, que ce soit sur les chantiers, au comptoir ou par téléphone, mais nous travaillons sur des parcours d’engagement pour qu’à terme 100% des clients passent par notre plateforme d’e-commerce et omnicanale. Nous avons migré vers la version cloud d’Hybris, SAP Commerce Cloud, et créé des applications mobiles. Digicube Bon de Commande, par exemple, déployé en mars dernier auprès de 1000 collaborateurs, en est aujourd’hui à un taux d’usage de 85%. Nous sommes en phase pilote sur l’appli Bon de Livraison. Et côté ventes, nous sommes actuellement en pleine tournée des centres régionaux, pour déployer notre plateforme omnicanale FBOne auprès des 600 commerciaux.
Les collaborateurs ont-ils tout de suite adhéré à ces changements ?
Nous avons dû prendre du temps au début pour expliquer, mais les avantages sont évidents, et avec quelques KPI simples nous avons pu les factualiser. Typiquement, le nombre de litiges et l’amélioration du délai de recouvrement. Avant, il fallait appeler le responsable des ventes local, que ce dernier retrouve le devis en question, une feuille de papier qui pouvait dater de plus d’un an… Aujourd’hui, tout est numérisé, ce qui nous garantit la traçabilité de la vente : les ventes sont liées au catalogue électronique, nous avons moins de litiges, le back-office ne perd pas de temps… Et bientôt nous serons capables de récupérer de manière dynamique les règles de tarification s’appliquant à tel ou tel client - là où il fallait jusqu’à présent s’envoyer des fichiers Excel.
Les clients y gagnent aussi, puisque leur espace client devient une plateforme servicielle, où ils peuvent retrouver l’ensemble de leurs documents et de leurs interactions avec nous. Nous avons beaucoup travaillé l’onboarding des nouveaux clients sur l’application (upload des documents d'identité et du Kbis, vérification de la conformité et de la solvabilité…), avec l’objectif de passer d’une semaine à moins d’une journée ; on se met à des normes quasiment B2C !
Et toute cette numérisation des process a pu se dérouler au-dessus du legacy Cobol ?
Oui, il a bien sûr fallu travailler sur l’APIsation du legacy, qui cumulait gestion des marchandises, vente, comptabilité, facturation… C’était le seul moyen pour aller chercher de la donnée et commencer à créer de l’omnicanalité. C’était aussi un axe stratégique, dès le départ, pour opérer une bascule et un (futur) décommissionnement progressifs, soit vers des outils ad hoc, soit des logiciels en mode SaaS.
Dans de tels projets de modernisation, avec une bascule vers le Cloud et l’omnicanalité, il y a souvent un aspect qu’on oublie : le réseau…
Oui, et ce serait dommage de s’en priver ! Nous étions sur du MPLS coûteux, pas assez flexible ni performant. Nous avons basculé sur du SD-WAN, pour faciliter l’accès au Web depuis les points de vente. Les points d’accès sont ultra-simples à configurer et installer dans les agences, à monitorer et à piloter. On y a gagné en visibilité mais aussi en coûts : en 7 mois, nous en sommes à 30% d’économies d’Opex, c’est significatif !
Autres aspects souvent négligés de ces évolutions, l’organisation et la culture ont été prises en compte dès le début…
Nous étions en effet dans une organisation en silos “projet + run”. Nous avons évolué vers une culture plus orientée produit, avec là aussi des outils numériques pour outiller nos process et avoir de la traçabilité. Avant, les gens “couraient” partout, s’essoufflaient. Là, c’est fluide, le backlog est numérisé, et notre collaboration avec les métiers s’est largement accentuée. Nous sommes en immersion avec eux, sur le terrain, nous allons beaucoup plus vite. En remaniant quelques postes clés et en renforçant l’organisation avec des expertises clés, nous avons pu faire monter nos équipes en compétences, former des gens à de nouvelles technologies… et nous envisageons sereinement l’avenir.
Exactement ! C’est la prochaine histoire : migrer dans le Cloud et industrialiser notre approche de la data. En plus du contrôle de gestion, il s'agit maintenant d'opérationnaliser la data, de la rendre “sales oriented”, d’avoir un impact sur le business. Nous aurons des équipes data légères, autonomes, capables de pousser des produits data : par exemple identifier des clients à risque, des commandes en souffrance… Nous allons augmenter nos parcours de vente avec de la donnée clients.
Je dirais que cela a permis de repositionner l’IT au bon niveau de discussion d’un Comex. Nous avons déterminé une vision initiale, et avons fait ce qu’on disait qu’on ferait, sans pertes ni fracas, dans les temps, malgré un budget frugal. Les gains de productivité nous ont même permis de réaliser des économies pour financer la transformation. On est maintenant considérés comme un vrai levier stratégique, et non plus comme le service cher qui ne marche pas…
Et si tu devais résumer ton credo ?
Toujours se demander en amont comment faire simple tout en ayant de l’impact !